Huawei défie les sanctions : le Kirin 9030 Pro, un « faux 5 nm » né sans EUV

par Yohann Poiron le 27/11/2025

Huawei continue de jouer une partie d’échecs technologique dont les règles semblent écrites pour le faire perdre. Privée d’accès aux technologies américaines — en particulier aux lithographies EUV d’ASML — l’entreprise ne peut ni produire ni acheter des puces de pointe.

Pourtant, elle vient de dévoiler le Kirin 9030 Pro, l’AP (Application Processor) qui alimente le tout nouveau Huawei Mate 80 Pro Max.

Le tour de force ? Ce Kirin 9030 Pro est gravé par SMIC, toujours sous sanctions, via son procédé N+3, un « processus 5 nm »… sans EUV. Une prouesse autant qu’une contrainte.

Normalement, produire un 5 nm nécessite l’EUV (longueur d’onde 13,5 nm). SMIC, privée de cette machine, doit se rabattre sur le DUV (193 nm), et compenser en multipliant les étapes.

Avec l’EUV, une seule exposition générant un motif nanométrique propre, tandis que le DUV propose jusqu’à quatre expositions successives laissant des risques d’alignement, défauts, et pertes de rendement.

Résultat, une fabrication plus lente, un prix unitaire qui explose, et un rendement beaucoup plus bas. Ce n’est donc pas un 5 nm « complet », mais un 5 nm contorsionné, soutenu par du génie industriel… et beaucoup de patience.

Kirin 9030 Pro : 9 cœurs, Maleoon 935, mais des performances qui s’effondrent face aux rivaux

Selon Digital Chat Station, le Kirin 9030 Pro embarque :

  • 1 cœur @ 2,75 GHz
  • 4 cœurs @ 2,27 GHz
  • 4 cœurs @ 1,72 GHz
  • GPU Maleoon 935 (successeur du 920)
  • 14 threads grâce au SMT (12 threads pour le Kirin 9030 non-Pro)

Les résultats Geekbench du Mate 80 Pro Max (16 Go RAM) sont… inquiétants :

Kirin 9030 Pro :

  • Monocoeur : 1 131 points
  • Multicoeurs : 4 277 points

geek80

Comparaison — un gouffre de génération :

Snapdragon 8 Elite Gen 5:

  • +320,9 % en monocoeur
  • +245,2 % en multicoeurs

Dimensity 9500 :

  • +300,1 % en monocoeur
  • +233,2 % en multicoeurs

Apple A19 Pro :

  • +346,6 % en monocoeur
  • +234,1 % en multicoeurs

Digital Chat Station précise qu’il faut « prendre ces scores avec des pincettes », Huawei ayant déjà optimisé (ou manipulé) ses benchmarks par le passé.

Mais, les limites structurelles — absence d’EUV, rendement catastrophique, design CPU limité — parlent d’elles-mêmes.

Deux versions du Kirin 9030 : Pro et standard

Huawei segmente sa gamme :

Kirin 9030 Pro

  • 14 threads
  • Mate 80 Pro Max
  • Mate 80 RS Ultimate
  • Mate 80 Pro (versions hautes avec 16 Go RAM)

Kirin 9030

  • 12 threads
  • Mate 80 Pro (versions 12 Go RAM)

Kirin 9020 (N+7), déjà utilisé en 2023 dans le Mate 60 Pro

Le Kirin 9030 Pro marque la première utilisation du procédé N+3 dans un produit commercial SMIC.

Ce que révèle vraiment le Kirin 9030 Pro : une avance américaine intacte

Le Kirin 9030 Pro n’est pas une mauvaise puce en soi : c’est une mauvaise puce pour son époque. Dans une génération 2026 dominée par des architectures 3 nm EUV, des cœurs monstrueux en IPC et des GPU performants, Huawei se bat avec un outil industriel objectivement bridé.

Ce lancement révèle trois points essentiels :

  1. Huawei peut survivre sans EUV mais en sacrifiant performance, rendement, coût unitaire et efficacité énergétique.
  2. SMIC progresse, mais lentement : Le passage de N+7 (7 nm « sans EUV ») à N+3 (5 nm « sans EUV ») est un miracle d’ingénierie… mais reste 5 à 7 ans derrière TSMC.
  3. Le futur du silicium chinois dépend de la politique : Si les restrictions américaines perdurent, Huawei restera coincée dans une boucle technologique où chaque génération est plus coûteuse et moins compétitive.

Un exploit technique, un recul stratégique

Le Kirin 9030 Pro est à la fois la preuve du génie d’ingénieurs capables de repousser les limites du DUV, et le symbole du handicap durable imposé à Huawei par l’interdiction d’EUV.

En clair : Huawei progresse, mais le monde avance deux fois plus vite. Le Mate 80 Pro Max sera une vitrine d’autonomie technologique chinoise, oui, mais sur le plan pur de la performance, le fossé avec Qualcomm, MediaTek et Apple n’a jamais été aussi évident.