X sanctionnée par l’UE : amende record, badge bleu trompeur et guerre ouverte entre Musk et Bruxelles

par Yohann Poiron le 08/12/2025

Quand Bruxelles sanctionne, Elon Musk s’emporte — et coupe la parole à la Commission. C’était censé être un avertissement historique. Ce fut le début d’un règlement de comptes public.

Vendredi dernier, la Commission européenne inflige à X une amende record de 120 millions d’euros, première sanction majeure tombée sous le Digital Services Act (DSA). Motifs : absence de transparence, confusion volontaire autour du badge bleu, opacité publicitaire et blocage de l’accès aux données pour les chercheurs.

Moins de deux minutes après l’annonce officielle, Elon Musk choisit de répondre dans la plus pure tradition de sa plateforme : un laconique « Bullshit » posté sur X.

Mais, l’escalade ne faisait que commencer.

La riposte de X : couper l’accès pub de la Commission

Le lendemain, X dégoupille une seconde salve : désactivation pure et simple du compte publicitaire de la Commission européenne. Nikita Bier, patron produit de X, accuse Bruxelles d’avoir utilisé une astuce pour donner artificiellement plus de visibilité à son propre post annonçant… l’amende infligée à X.

Une ironie que la plateforme n’a pas manqué de souligner.

Selon Bier, la CE aurait publié « un lien déguisé en vidéo pour tromper les utilisateurs et booster sa portée ».

Contrairement à ce que laisse entendre X, le post contenait bel et bien une vidéo — mais l’attaque est ailleurs : X accuse la Commission d’avoir violé ses propres règles publicitaires, puis la punit en coupant l’accès à son compte ads.

Dans les faits ? Le compte n’était plus utilisé depuis 2021. La sanction est donc plus théâtrale qu’efficace. Mais, le message est clair : X ne se laisse plus dicter la loi, même par Bruxelles.

Ce que reproche exactement le DSA à X

L’amende de 120 millions d’euros sanctionne trois manquements précis :

  1. Le badge bleu devenu un badge… payant : Sous Musk, n’importe quel utilisateur peut payer pour être « vérifié ». Résultat : hausse des arnaques, d’usurpations d’identité et d’informations trompeuses. Pour Bruxelles, il s’agit d’une atteinte grave à la lisibilité du réseau social.
  2. Un registre publicitaire incomplet : La plateforme ne précise pas suffisamment le contenu exact des publicités, l’entité qui les finance, et leur ciblage.
  3. L’accès bloqué aux données publiques pour les chercheurs : Un point central de la DSA, qui exige la transparence sur les risques systémiques.

X a désormais 60 jours pour expliquer comment il compte corriger le tir, sous peine de sanctions supplémentaires.

Une affaire technique… qui vire politique

Et si la bataille X–UE annonçait un divorce numérique transatlantique ? Ce clash dépasse largement les frontières de la plateforme. Plusieurs observateurs y voient un premier stress test de la DSA face à une Big Tech américaine dirigée par un patron ouvertement hostile aux régulations européennes.

Le contexte n’aide pas :

  • le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche,
  • la proximité assumée entre Musk et le nouveau pouvoir américain,
  • les tensions commerciales en toile de fond.

Certains médias, dont The Guardian, suggèrent déjà que cette affaire pourrait devenir un casus belli diplomatique menant à des rétorsions économiques.

Bruxelles affirme rester « neutre ». Mais X, en coupant l’accès publicitaire de la Commission, envoie un message politique : « Vous nous sanctionnez ? Nous pouvons aussi vous retirer la parole sur notre plateforme. ». Un précédent inédit.

L’ironie : Bruxelles accusée… d’utiliser des méthodes jugées « trompeuses »

Le régulateur pris à son propre piège ? La critique de X repose sur un détail technique — mais révélateur de la fragilité de cette confrontation. Selon la plateforme, la Commission a utilisé un format publicitaire « spécial » pour publier son annonce, augmentant sa portée algorithmique.

Une manœuvre que X qualifie de déloyale.

L’ironie est totale : la Commission européenne, gardienne de la transparence en ligne, accusée par X d’avoir… contourné ses règles publicitaires. Même si l’impact réel est discutable, le récit médiatique est redoutablement efficace pour Musk : c’est désormais Bruxelles qui doit se justifier.

Quelles conséquences pour l’avenir de X en Europe ?

Le retrait du compte ads de la CE ne change rien opérationnellement. En revanche, il pourrait nuire à l’image de X auprès des annonceurs, des régulateurs, et des gouvernements européens. Mais, cette posture combative plaît à une partie de la base d’utilisateurs de Musk, qui voient dans la DSA une forme d’ingérence.

Pour la Commission, l’affaire expose un autre risque : dépendre d’une plateforme privée pour s’adresser aux citoyens européens. Une vulnérabilité stratégique qui pourrait accélérer l’émergence d’alternatives européennes.

Que se passera-t-il maintenant ?

Recours, escalade… ou trêve ? Plusieurs scénarios se dessinent :

  1. X fait appel de la DSA : Une procédure longue, qui pourrait durer des années.
  2. L’UE serre la vis : La DSA permet des sanctions plus lourdes, allant jusqu’à l’interdiction.
  3. Pressions américaines : Si Washington estime que la DSA pénalise disproportionnellement les entreprises US, le conflit pourrait prendre une ampleur commerciale.
  4. Une désescalade discrète : X pourrait rétablir le compte ads de la CE sans en faire un événement.

Une guerre de symboles, bien plus qu’une guerre de chiffres

L’amende est salée, mais largement absorbable par X. La suppression de l’ad account est symbolique, pas punitive. Mais l’enjeu est ailleurs : c’est une bataille pour définir qui, de la Big Tech ou du régulateur, fixe les règles du numérique.

L’Europe veut un Internet plus sûr et plus transparent. Musk veut un Internet plus libre et moins encadré. La DSA est le champ de bataille de cette vision du monde.

Et ce premier affrontement ne sera certainement pas le dernier.

Le DSA n’est pas qu’un texte théorique ; c’est un outil opérationnel conçu pour obliger les plateformes à assumer leurs responsabilités. Le badge bleu de X en devient presque un symbole : celui d’une plateforme qui s’affranchit des repères établis, mais se heurte désormais à un cadre qui ne tolère plus l’opacité.

À l’heure où la confiance dans l’information en ligne s’effrite, Bruxelles veut imposer des garde-fous. Et X, malgré sa posture souvent hostile à la régulation, devra composer avec ce nouvel équilibre.