Wikipédia suspend les résumés IA après la fronde des éditeurs

par Yohann Poiron le 12/06/2025

Dans un climat de tension croissante autour de l’usage de l’intelligence artificielle dans les contenus en ligne, Wikipédia vient de suspendre son expérimentation de résumés d’articles générés par IA. Une décision prise sous la pression des éditeurs bénévoles, inquiets pour l’intégrité éditoriale de l’encyclopédie libre la plus consultée au monde.

Début juin, la Wikimedia Foundation lançait une phase de test limitée destinée aux utilisateurs ayant installé une extension de navigateur spécifique. Ces derniers pouvaient activer une nouvelle option affichant, en haut de chaque article, un résumé généré automatiquement par intelligence artificielle, accompagné d’un bandeau jaune « Non vérifié ».

Ces résumés, accessibles sur clic, visaient à offrir une synthèse rapide et accessible du contenu. Mais en quelques jours seulement, la communauté de contributeurs a exprimé une opposition ferme, pointant du doigt les risques de désinformation, les erreurs factuelles — aussi appelées « hallucinations » dans le jargon de l’IA — et l’absence de validation humaine.

Une remise en question des fondements de Wikipédia

La controverse ne se limite pas à une simple fonctionnalité technique. Elle touche au cœur même de la philosophie de Wikipédia : un projet fondé sur la collaboration humaine, la vérifiabilité des sources et la neutralité du savoir. Injecter massivement du contenu généré par IA revient à fragiliser ces piliers fondamentaux.

Plusieurs études, dont une relayée par AIbase en 2024, montrent que les textes produits par IA manquent souvent de profondeur, d’intégration des sources et de rigueur. Pire encore, près de 4,36 % des nouveaux articles publiés cette année-là auraient comporté une part significative de texte généré automatiquement, souvent de moindre qualité ou à visée promotionnelle.

Détection difficile, encadrement en cours

Face à cette situation, Wikipédia explore des solutions de détection. Des outils comme GPTZero ou Binoculars sont en test, mais leur efficacité reste limitée. Le style des IA devient si naturel qu’il est parfois impossible de distinguer un texte machine d’un texte humain.

Une ébauche de nouvelle politique interne recommande désormais de ne pas utiliser de contenu généré par IA sans supervision, surtout pour les éditeurs peu expérimentés. Cette ligne directrice pourrait évoluer vers un cadre réglementaire plus strict, au vu des dérives potentielles.

Une communauté divisée sur l’usage de l’IA

Le débat dépasse la technique. Certains membres voient dans l’intelligence artificielle un levier pour démocratiser la création de contenu, notamment dans les langues minoritaires. D’autres redoutent une bulle de désinformation auto-entretenue, où les modèles d’IA s’entraîneraient sur des textes eux-mêmes générés par IA, renforçant les biais existants.

Comme le souligne Amy Bruckman, professeure à Georgia Tech, « les IA ne sont aussi fiables que les données sur lesquelles elles s’entraînent ». Or, si Wikipédia devient un terrain de jeu incontrôlé pour les générateurs de texte, sa mission d’offrir un savoir neutre et vérifiable pourrait être compromise.

Une pause, mais pas un abandon

Malgré la suspension de ce projet, la Wikimedia Foundation n’a pas définitivement enterré l’idée d’utiliser l’IA. Des cas d’usage comme l’accessibilité ou la vulgarisation rapide restent envisagés, à condition qu’ils soient encadrés.

La question désormais est la suivante : comment concilier les avantages de l’IA avec les exigences d’une encyclopédie libre, collaborative et transparente ? La réponse nécessitera du temps, du dialogue et, surtout, une gouvernance rigoureuse impliquant la communauté.

La mise en pause des résumés IA n’est pas une fin, mais un signal fort. Wikipédia entame un nouveau chapitre dans sa relation avec l’intelligence artificielle, oscillant entre prudence éthique et tentation technologique. Ce moment charnière pourrait redéfinir les règles du jeu pour toutes les plateformes fondées sur la production collaborative de savoir.